Ellen White était-elle une défenseure de la justice sociale ?
Par John Skrzypaszek
Au cours du 20e siècle, l’Église adventiste du septième jour a dû faire face à de nombreuses difficultés dans un monde en constante transformation. Les développements rapides dans les domaines de l’industrialisation, de l’urbanisation, de l’immigration et de la croissance exponentielle des villes ont tous augmenté, à leur manière, la présence d’injustice causée par les « indifférences aux souffrances humaines ».1
Des disputes confessionnelles internes, engendrées par des conflits théologiques et organisationnels, ont menacé de dévier l’attention de l’Église de sa mission première dans le monde. Selon Douglass Morgan, dans le contexte des enjeux de société généraux, « Ellen White a guidé la réaction des adventistes aux problèmes sociaux du pays. »2 Par conséquent, ses conseils ont dirigé l’attention vers la justice sociale comme étant une partie intrinsèque des activités missionnaires du mouvement.
Cette brève réflexion n’a pas pour objectif de débattre de sa conception de tous les aspects de justice sociale ni de sa réaction à tous ces enjeux par l’utilisation sélective de citations, mais vise plutôt à illustrer la profondeur de l’inspiration éducative et visionnaire de ses écrits issus des tranchées de son vécu.
Dans une lettre qu’elle a écrite à O. A. Olsen en janvier 1905 (Lettre 55), Mme White décrit sa visite à Battle Creek, au Michigan. Ces souvenirs sont fascinants pour deux raisons. D’abord, ils définissent son rôle de messagère de Dieu. Ensuite, on lui a demandé si son point de vue de plusieurs années auparavant avait changé.
En réponse, elle a confirmé la continuité de ses croyances inchangées, mais les a placés dans le contexte du « même service » que le Maître lui a confié lors des premières années. On peut se demander ce qu’elle voulait dire par la « continuité de ses croyances inchangées » et le « même service ».
Avec le temps, sa compréhension progressive des vérités bibliques a mûri.3 Elle a encouragé l’Église à immerger ses expériences dans la puissance de la parole de Dieu pour « discerner plus clairement la compassion et l’amour de Dieu » révélés dans « Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié »,4 là où l’on trouve « la miséricorde, la bonté et le pardon, en même temps que l’équité et la justice. »5 Elle insiste pour dire que « nous ne devrions pas seulement connaître la vérité, mais nous devrions mettre la vérité en pratique, la vérité telle qu’elle est en Jésus Christ ».6 Ce sujet central est demeuré un mandat inchangé de tout son ministère, c’est-à-dire la vérité dans l’application pratique du « service au Seigneur ».7
Dans ce contexte, elle s’est remémoré la nature précise de son appel : « J’ai reçu la responsabilité de ne pas négliger ou ignorer ceux qui étaient maltraités… Je me dois de réprimander l’oppresseur et d’implorer la justice. Je dois présenter la nécessité de maintenir la justice et l’équité dans tous nos établissements. »8
Ellen White et la justice sociale
L’espace ne nous permet pas de faire une analyse détaillée des réactions de Mme White à toute la gamme d’enjeux de justice sociale, tant au sein de la communauté de foi que dans la société en général, mais son influence a commencé à la base, qui consiste à subvenir aux besoins humains. Peu de temps après son mariage, en 1846, Dieu l’a inspirée à s’intéresser particulièrement aux enfants orphelins.9 Et elle comprenait cette responsabilité comme faisant partie de la réponse missionnaire à la souffrance humaine (Ésaïe 58.6, 7) avec un but précis : « J’ai pris des enfants de trois à cinq ans et je les ai éduqués et formés pour des postes de responsabilités. »10
Pendant qu’elle était en Australie, sa maison, à Sunnyside, en Nouvelle-Galles du Sud, est devenu « un refuge pour les pauvres et les affligés ».11 C’est par son souci pour les gens malades et souffrants qu’elle « a gagné la confiance des gens ».12 Thomas Russell, un homme d’affaires de la région, a résumé ainsi l’impact de son influence : « La présence de Mme White dans notre village nous manquera énormément. La veuve et l’orphelin ont trouvé chez elle une aide. Elle a abrité, vêtu et nourri les gens dans le besoin, et là où il faisait sombre, sa présence apportait du soleil. »13 Dans sa vie et ses pratiques, la vérité en Jésus se traduisait par l’expérience chrétienne vivante au sein de laquelle on ressentait bonté et tendre sollicitude.
Ellen White et les relations interraciales
Le thème du grand conflit entre le bien et le mal (1858-1888) a nourri la compréhension profonde qu’avait Ellen White de l’amour de Dieu et du sens à la vie dans un monde brisé. Il mettait en évidence la valeur de la liberté de choix ainsi que la valeur intrinsèque et le potentiel de la vie humaine. Il a donc poussé l’influence de son ministère au-delà des frontières de la communauté adventiste jusque dans « l’arène publique pour parler de interrelations raciales et de liberté religieuse ».14 Et en Australie, elle a beaucoup écrit sur les enjeux liés aux races de couleur.15 D’ailleurs, en 1891, elle a écrit ceci : « Le Seigneur Jésus est venu dans notre monde pour sauver les hommes et les femmes de toutes les nationalités. Il est mort tout autant pour les gens de couleur que pour la race blanche. C’est le monde entier que Jésus est venu illuminer. »16
Ses paroles reflétaient une conviction spirituelle courageuse et profondément enracinée émanant de sa vision du ministère de Jésus : « Je sais que ce que je m’apprête à écrire me mettra dans une position conflictuelle. Et je ne cherche pas le conflit, lui qui semble avoir été incessant ces dernières années; mais je ne veux ni vivre ni mourir dans la lâcheté, laissant mon travail inachevé. Je dois suivre les traces de mon Maître. Il est de nos jours bien vu de regarder les pauvres de haut, particulièrement la race de couleur. Mais Jésus, le Maître, était pauvre, et il compatissait avec les pauvres, les laissés pour compte, les opprimés. Il a même dit que chaque insulte envers eux était une insulte qu’on lui lançait à lui. Je suis de plus en plus étonnée de voir ceux qui se disent enfants de Dieu témoigner d’aussi peu de la compassion, de la tendresse et de l’amour qui émanaient de Christ. Si seulement chaque église, du sud comme du nord, était imprégnée de l’esprit des enseignements de notre Seigneur. »17
Puis en 1896, elle a mis l’Église en garde : « Les murs du sectarisme, des classes sociales et des races tomberont quand le vrai esprit missionnaire entrera dans le cœur des hommes. L’amour de Dieu fait fondre les préjugés. »18 Ses appels visaient à résonner au-delà du monde de l’activisme politique. Plus précisément, elle tentait de lancer à l’Église le défi d’une « nouvelle initiative pour atteindre la population noire appauvrie et opprimée. »19Par conséquent, ses messages inspiraient la motivation et la mission.
Un exemple à suivre
L’exemple de sa réponse unique aux maux de l’injustice sociale est ressorti de sa délicate approche aux mauvais traitements subis par les peuples autochtones et les insulaires du détroit de Torrès en Australie. Tout en écrivant beaucoup sur les inégalités, elle n’a jamais fait directement référence aux préjugés raciaux du pays, mais ses écrits ont néanmoins incité l’Église adventiste du septième jour à dénoncer ce mal social. Après son départ pour l’Amérique, le Bible Echo (du 19 août 1901) a publié un éditorial exprimant la protestation de l’Église contre les mauvais traitements du gouvernement envers les peuples indigènes : « Nous devons saisir chaque occasion de forger le sentiment public contre les coutumes brutales décrites ci-dessus jusqu’à ce que les autorités prennent les choses en main et instaurent une réforme active. Il s’agit d’une faute grave de la nation devant être corrigée immédiatement. »20
En effet, ses conseils ont mis les adventistes du septième jour au défi de dénoncer l’oppression et l’injustice, et ce comme partie intégrante de ses activités missionnaires afin d’élever et de restaurer la valeur et la dignité humaine qui émanent du divin royaume de grâce.
La version originale de cet article a été publiée ici. Cette republication comprenant de mineures modifications éditoriales a été autorisée.
John Skrzypaszek est un ancien directeur du Centre de recherche adventiste du septième jour Ellen G. White du Collège universitaire Avondale en Australie.
Pour voir les références, cliquez ICI.
Traduction : Marie-Michèle Robitaille
Source : Communication DIA